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Vents hurlants

       Ployant les genoux, Khaltos attendit dans le calme que ses ennemis se décident à attaquer. Ahanant, quelques Srams et Ecaflips tentaient de reprendre leur souffle. Le géant leur en faisait voir de toutes les couleurs depuis le début du combat et avait déjà réduit à néant, le tiers de leur effectif. Poussant un cri de rage, un des pirates s’élança en direction du Iop. Perché en équilibre sur les croisées de bois recouvrant les cales du Vagalame, Khaltos mit à profit les nombreux mouvements d’air générés par les travées, pour préparer sa contre-attaque. Galvanisés par le Sram qui le chargeait, cinq autres pirates le suivirent presque aussitôt. Fermant les yeux, le Iop se coupa du monde le temps d’une seconde.​
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       Accordant sa respiration sur les battements de son cÅ“ur, il en appela au vent. Bras droit tendu vers le sol, main ouverte, il libéra un peu de son pouvoir et sentit l’air frémir sous sa paume. Inversant leur course, les courants d’air se firent happés par cette force attractive qui les faisait fusionner en une seule masse d’air. En moins de trois secondes, un tourbillon de vents hurlants se forma, remontant le long du bras de Khaltos. Charriant d’infimes éclats de bois et de la poussière de poudre à canon, le vortex était visible à l’œil nu. Et quand le Iop arma son poing, son adversaire comprit qu’il était trop tard pour faire demi-tour.​
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       Plaquant son pied contre une poutre de bois, il croisa ses bras devant son visage, espérant absorber l’impact. Mais quand le Iop projeta une phénoménale masse d’air dans sa direction, il ne put rien faire. Soulevés de terre, lui et ses camarades tourbillonnèrent à la façon de poupées désarticulées. Tels des missiles, les rafales projetèrent de plein fouet ceux qui étaient demeurés en arrière. La lame d’air continua sa course destructrice, happant les malheureux qui se trouvaient à proximité. Ce ne furent pas moins de treize assaillants qui furent projetés contre les parois de bois du navire et parfois même, par-dessus bord. Quand le vortex fusa en direction du grand mât, Khaltos se contenta de plier son coude et de pointer son index et son majeur vers le ciel. Alors la masse d’air se mua en colonne et remonta en sifflant, le long du mât.​
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       Perchée tout en haut de ce dernier, criblant sans relâche ses adversaires de flèches, Aria faillit être emportée. Toutes les voiles encore intactes et déployées du Vagalame se gonflèrent avec violence, soulevant le navire de quelques centimètres sur sa ligne de flottaison. On eut dît que le clipper avait le hoquet.​
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       Livide, la Crâ se pencha par-dessus la rambarde de la vigie. Un instant, elle voulut hurler au Iop qu’il avait failli la mettre sur orbite. Mais ce dernier ne l’aurait pas entendu, ceinturé aux épaules par un énorme Ecaflip. Ce nouvel adversaire, un massif combattant à la bedaine ventripotente, tentait d’asphyxier Khaltos et de lui briser l’échine. Et si le Iop parut souffrir atrocement pendant quelques secondes, il n’en prit que plus de plaisir à adresser un clin d’œil malicieux à son adversaire.​
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       Projetant brutalement sa tête contre le visage du titan, il lui brisa la mâchoire. Poussant un cri gargouillant, le pirate lâcha le guerrier et plaqua aussitôt les battoirs qui lui servaient de mains sur ses lèvres déchirées. Un geyser de sang jaillit, accompagné de quelques dents. Un sourire monstrueux le défigurant presque, Khaltos sentait l’hémoglobine couler sur son visage. Incapable de dire s’il s’agissait du sien ou de celui de son adversaire, il se contenta de passer une main en travers de ses yeux, que le sang venait de souiller. Maculé de ces macabres stigmates, le géant n’attendit pas que son adversaire fasse le compte de ses dernières dents.​
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       Reportant tout son poids sur sa jambe gauche, il plia et souleva celle de droite, assénant un coup de talon latéral à la nuque de l’Ecaflip. Les cervicales brisées, le pirate s’affaissa mollement. Profitant que le Iop crie victoire, un Sram jaillit de derrière le cadavre qui frémissait encore. Souriant à pleines dents, Khaltos plaqua ses deux mains sur le ventre épais du trépassé. Soulevant ses reins vers le haut, il se maintint en poirier le temps d’une seconde. Puis, effectuant un mouvement de ciseaux, il écarta ses longues jambes qui allèrent frapper le Sram à hauteur d’épaule. Tournoyant sur lui-même, le pirate bascula par-dessus bord, quand ses chevilles rencontrèrent la jambe de Cilhex. Suivant du regard la chute vertigineuse, la roublarde nota avec plaisir que l’océan se tâchait de sang. Les requins ne tarderaient pas à arriver, sonnant le glas de ceux qui tomberaient encore ou tarderaient à remonter à bord.​
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       Terrifiés par la puissance du Iop, ses quelques ultimes adversaires choisirent de tourner les talons. S’enfuyant à toute vitesse, ils furent ralentis dans leurs courses par quelques uns de leurs congénères, possédés par des Shushus. Hilares et grimaçants, ces derniers ne se rendaient même pas compte du danger qu’ils couraient à rester à portée de poing de Khaltos.  Croisant les bras, ce dernier rendit son sourire à celui, mutin, de la belle roublarde. Ayant réussi à dénicher une petite robe noire qu’Alaix mettait pour dormir, la jeune femme avait complété sa tenue par plusieurs colliers de bombes autour de sa taille et en travers de sa poitrine. En dégoupillant une avec ses dents, elle la balança au milieu d’une dizaine de pirates, qui n’avaient pas encore eu le temps de décrocher leurs yeux de son décolleté plongeant. Khaltos, à moitié hypnotisé lui aussi, pensa avec retard que jeter ainsi une grenade sur le pont du bateau, ne pourrait certainement pas arranger leurs affaires. Et à part négativiser d’avantage la flottabilité déjà précaire du Vagalame, c’était même une catastrophe.​
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     Quand les croisées de bois explosèrent dans un déluge de flamme, Cilhex se détourna à peine, préférant maintenir d’une main sa jupette, dans un souci plus qu’évident de pudeur. S’étant retranché juste à temps au bas du petit escalier menant au beaupré, le Iop félicita mentalement son capitaine d’avoir embauché une sauvageonne aussi dévergondée. Cette Cilhex était une vraie tigresse. Sa longue chevelure hérissée d’éclats de bois, la roublarde rejoignit Khaltos à couvert. Se dépêchant de baisser la tête, elle évita de justesse une flèche enflammée. Le Iop sourit.​
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       -Tu t’es fais un admirateur ma belle !​
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Cilhex lui adressa un sourire contrit.​
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       -Je suis éreintée de les compter.​
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       Puis, plongeant une main dans son décolleté, elle en extirpa sous le regard bovin du Iop, un tout petit pistolet. Khaltos faillit mourir de rire.​
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       -Non mais attends, t’es sérieuse ?! T’as une trentaine de bombes sur toi et tu leur balance un pet d’allumette ?!​
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La jeune femme embrassa affectueusement l’arme de poche.​
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       -Montre-lui de quoi tu es capable, Une Fois.​
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Etonné, Kal vit que l’arme avait entre-ouvert un œil minuscule. D’une voix fluette, il lui répondit :​
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       -Avec plaisir…​
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Le Iop loucha sur la chose, que Cilhex déposa dans sa main tendue.​
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       -Ce truc est possédé par un Shushu ?! Tu pouvais pas trouver plus…plus gros calibre ?​
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Cilhex pianota des doigts sur sa gorge.​
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       -Ne sois pas ridicule ! Et où l’aurais-je rangé hein ?​
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       Khaltos fit le choix de ne pas évoquer l’utilité d’un baudrier. S’accroupissant, il réussit tant bien que mal à glisser un peu de son index sur la gâchette d’Une Fois. Visant le Crâ qui ne cessait plus de les canarder, il demanda à Cilhex, à la seconde où il faisait feu :​
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      -Et c’est quoi ce nom là, Une Fois ?​
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      La jeune femme n’eut pas le temps de répondre. Dès le coup de feu partit, un trait de feu et de flamme déchira l’air, vaporisant le Crâ, quatre autres pirates et le grand mât qui se trouvait derrière. Médusé, les yeux écarquillés, Khaltos fut incapable d’émettre le moindre son. Privé de son pied, le gigantesque poteau de bois retomba brutalement sur sa base, s’enroula sur lui-même en gémissant comme une bête à l’agonie et enfin, finit par s’écrouler en travers du Mululement Frelaté. Et tandis que plus haut, Aria s’époumonait à crier au fou, le Iop sentit à peine Cilhex lui reprendre l’arme des mains.​
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       -Parce qu’on ne peut tirer qu’une fois avec.​
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Puis, embrassant gentiment le Shushu, elle lui susurra :​
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       -À dans un an, petit garnement.​
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       -Le mât…souffla le Iop. Anth va me tuer !

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