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Mission accomplie

       Coincée dans la cabine, Or Azur terminait de ronger ses derniers ongles. Quand l’eau avait commencé à s’infiltrer sous sa porte, la jeune fille s’était hissée en haut d’une commode. Les hamacs, qui ne cessaient de se balancer en grinçant, marquaient le roulis perpétuel du Vagalame. Ayant retiré le bandeau qui masquait ses yeux, Or Azur réfléchissait à une solution. Il lui aurait été aisé de forcer la serrure avec un sort de glace. Hélas, le capitaine avait été formel. Interdiction absolue d’user de ses pouvoirs avant qu’il n’en donne l’ordre. La Xelor n’avait absolument aucune idée du pourquoi d’une telle interdiction. Quand le capitaine l’avait convoquée dans la nuit pour lui faire part de ses volontés, elle avait timidement demandé à participer aux combats. Le capitaine avait émis un « tss, tss, tss » de désapprobation.​
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       -Tu n’es qu’une gamine Azur et je ne veux pas de toi sur le pont. Tes pouvoirs me seront utiles mais en temps voulu. D’ici là, tu resteras dans le mess avec Lear.​
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       Or n’avait même pas cherché à discuter. Les ordres du capitaine étaient sans appel. Aussi fulminait-elle sur sa commode, le bandeau de Winch noué autour de son bras droit. Albynn ne l’avait pas enfermée ici sans raison. Et il était évident que l’Eniripsa irait trouver le capitaine pour lui dire où elle se trouvait. Mais aurait-elle le courage d’attendre qu’on vienne la chercher, alors que l’eau montait à une vitesse alarmante ? Ramenant ses genoux contre elle, Azur se cala contre le mur. Elle attendrait le dernier moment. Pas une seconde de plus.



 

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       Ils étaient dix à défendre le dépôt d’armes. Deux Osamodas, un Sacrieur, un Iop, un Eniripsa et cinq roublards. Jusqu’ici, ils ne s’étaient pas trop mal défendus face à une Ecaflipette au visage de marbre. Mais voyant qu’elle avait à faire à trop forte résistance, Anaye avait remballé ses dès, juré sur un ton des plus neutres et s’était contentée de tourner les talons. Se congratulant avec des rires gras et des remarques graveleuses, les pirates de Deenah Mythe vécurent ensuite un improbable cauchemar.​
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       Le plus tranquillement du monde, Anaye était revenue, indiquant du doigt la barricade de fûts et de planches derrière laquelle les brigands s’étaient retranchés. Leur chef, un des Osamodas, continuait de se méfier de l’Ecaflipette. Ses vampuces avaient dévoré son symbiote et il lui faudrait des mois avant de s’en reconstituer un autre. Intimant l’ordre à ses gaillards de rester bien planqués, il fut étonné de sentir le plancher se mettre à vibrer. Intrigué, il sentit que chaque vibration se faisait à un rythme régulier. Un bref instant, il voulut voir ce que la Vagueuse tramait, quand une respiration rauque et profonde le fit se ratatiner.​
 

       Le souffle court, le pirate écouta celui, saccadé de grondements, qui venait dans sa direction. Adressant un regard qui en disait long à ses subalternes, l’Osamodas sentit son cÅ“ur tambouriner dans sa poitrine. La chose qui approchait soufflait comme un feu de forge et semblait assez corpulente pour démettre de leurs supports, les chandeliers disséminés dans le couloir. Ricanant nerveusement, le Sacrieur du groupe fut incapable de se maîtriser. Se redressant, il fit jaillir son bras par-dessus la barricade et à l’aveugle, tenta d’asséner un coup au nouvel assaillant.​
Ses tatouages jaillirent de son bras tandis que son chef jurait, le traitant d’imbécile. Le Sacrieur percuta quelque chose et sourit d’un air victorieux. Mais quand la chose s’empara de ses marques et tira violemment dessus, le brigand fut extrait de force hors de sa cachette. Fusant à la manière d’un projectile, il poussa un cri, tandis que les ténèbres du couloir l’engloutissaient. Et quand au juron furieux du chef, un rugissement monstrueux lui répondit, même Anaye préféra se mettre à l’abri.​
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       Se mettant en mouvement, la créature fonça sur la barricade et d’un coup de défense, la fit voler en éclat. L’Osamodas n’eut que le temps d’apercevoir d’énormes griffes en or qu’il se faisait propulser contre le mur du fond. Sonné, il comprit qu’il avait à faire à un Enutrof fusionné avec son phorreur. L’animal de compagnie devait être monstrueux à la base, eu égard à la taille que faisait à présent le combattant. Pourtant bien renseigné, l’Osamodas savait que l’équipage du Vagalame comptait un Enutrof. Mais il était censé avoir cent et quelques années. Depuis quand les vieillards de cet âge déployaient-ils une telle puissance ?! Balayant le couloir du regard, le bandit vit que ses hommes se remettaient péniblement debout. Mis à part l’Eniripsa qui ne se relèverait probablement plus, tous demeuraient assez vaillants pour faire face. Jurant, leur chef se porta à leurs côtés. Pointant du doigt l’Enutrof qui s’avançait lourdement dans leur direction, il lui cria :​
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       -Qui es-tu toi ? Tu ne peux pas être Harry Cow !​
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       Incapable de parler avec les défenses en or qui jaillissaient de sa mâchoire, le fusionné se contenta de gronder. Se glissant sous une de ses pattes avant, Anaye soupira de lassitude.​
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       -C’est Harry Cow.​
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L’Osamodas fit signe à ses hommes de se barricader à l’intérieur du dépôt d’armes.​
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       -C’est impossible ! Il est âgé de près de cent ans ! Comment peut-il… ?​
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Anaye se massa les tempes. Etait-ce vraiment le moment de tergiverser là-dessus ?​
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       -Harry a rajeuni, pas son phorreur. Ça donne un petit côté percutant je trouve, faillit-elle ironiser.​
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     Le pirate sentit la moutarde lui monter au nez. Extirpant de sa ceinture une lame recourbée, il s’élança en direction de l’Ecaflipette. Une patte énorme le cueillit en plein vol et le fit voler à l’autre bout du couloir. Une fois le plancher débarrassé, Harry soupira de voir les autres brigands verrouiller une massive porte de chêne derrière eux. Armant son bras, il le projeta à travers la porte, transperça le bois de part en part et arracha des couinements terrifiés aux derniers pirates. Adossée au mur, Anaye fit la moue. Elle ne trouvait aucun intérêt à courir ainsi derrière de petits brigands apeurés. Ouvrant une de ses pochettes latérales, elle y plongea une main et glissa un regard en biais à Harry.​
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       -Tu devrais t’écarter. C’est pas tes amies celles-là.​
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     Poussant un grondement qui en disait long sur ce qu’il pensait, Harry ramena son bras. D’un geste sec, il en dégagea les débris de porte qui s’étaient empalées sur ses griffes. Se dirigeant pesamment à l’autre bout du couloir, il jugea bon de garder ses distances. Quand Anaye extirpa sa main de sa sacoche, celle-ci était recouverte de choses rouges et grouillantes. Se contentant de tendre le bras à l’intérieur du dépôt d’armes, la jeune femme libéra une nuée d’insectes affamés. Les pirates crièrent d’horreur mais très vite, le silence retomba. Anaye pénétra dans la salle, rappelant à elle ses vampuces. Vidés de leur énergie, ses derniers adversaires resteraient longtemps inanimés. Juste le temps qu’il faudrait à Harry pour transborder les nombreuses armes de la caravelle à bord du Vagalame. L’Ecaflipette soupira.​
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       -Mission accomplie capitaine.​
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       Puis, tirant de sa poche un petit bout de parchemin, elle raya les termes « chiper les armes ». Parcourant le reste de sa liste, elle vit que leur prochaine mission était de « mettre la main sur le magot ». Déjà lasse, la jeune femme empoigna quelques épées et suivit Harry, lourdement chargé. Le butin pouvait attendre. Ce n’était pas comme si le Vagalame risquait de chavirer là tout de suite !

 

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