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La fin d'un rêve

        Elle avait attendu jusqu’à la dernière minute, jusqu’à l’ultime seconde. Cachée jusqu’alors dans les entrailles de la caravelle, elle avait profité de ce que des poutres entières jaillissent des flots pour se glisser à bord du Vagalame. Tapie dans l’ombre, elle vit Trinita remettre la précieuse carte au capitaine Anth Ourloup. Puis ce dernier confia le parchemin à sa compagne qui regagna aussitôt leur navire. Exhibant un sourire garni de crocs, elle se déplaça dans les ombres des mortiers. Sa proie serait bientôt entre ses griffes.

 

 

 

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       Assuré que Trinita soit transféré à bord du Vagalame sous la garde de S’Tabwar et d’Ymaj, le capitaine Anth Ourloup rengaina son arme avec satisfaction. La garce leur avait donné du mal. La bataille avait été sanglante mais tout s’était passé conformément à ses plans. Satisfait, le roublard tourna les talons, faisant tournoyer son long manteau noir. La pluie avait enfin cessée et l’océan s’était apaisé. À grands pas, il se dirigea vers l’attroupement qui s’était formé autour d’Or Azur. Saisissant Résie et Anaye aux épaules, il les écarta afin de voir de ce qui se passait.​
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       Agenouillé, Khaltos tirait une tête de six pieds de longs. Ses camarades semblaient dans le même état et regardaient sans mot dire, le guérisseur apposer ses mains sur Or Azur. Etendue sur le pont, la jeune fille était toujours inanimée. Les yeux clos, on lui avait déposé un morceau de linge sur le front, par pure précaution. La respiration à peine perceptible, la gamine reposait sur le dos, inerte. Un instant, Anth Ourloup crut qu’elle s’était brisé le dos en retombant sur le pont du navire. Mais le Iop l’avait rattrapée. Assis près du visage de la Xelor, Lear demeurait prostré. Agenouillé à son chevet, Albynn avait saisi la chevelure rose entre ses mains. Deux halos blancs éclairaient le visage cireux de la petite. Celui de l’albinos arborait le même teint.​
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         -Eh bien, demanda le capitaine, quand se réveillera-t-elle ?​
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       Têtes basses, aucun de ses pirates n’eut le courage de lui répondre. Au bord des larmes, Albynn prit sur lui d’annoncer la terrible nouvelle.​
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        -M’sieur Anth…Azur…elle…​
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       L’Eniripsa n’eut pas le temps de finir. Un cri déchirant retentit, faisant sursauter tous les membres de l’équipage. Au loin, on entendit Harry et Arona crier le nom de leur capitaine. Reculant, ce dernier s’extirpa du cercle et se précipita au bastingage de la caravelle. Et ce qu’il vit sur le Vagalame, lui coupa le souffle.​
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          En équilibre sur la rambarde tribord du Vagalame, une Osamodas au regard de braise tenait en travers de son épaule, le corps ensanglanté d’Alaixtorne. Et dans sa main gauche, la carte durement arrachée à Trinita. Celle-ci se trouvant encore à bord de la caravelle, elle se mit à rire avec démence. La considérant avec horreur, Anth Ourloup l’interrogea du regard. Sifflant presque, la roublarde lui rit au nez.​
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       -Allons capitaine ! Ton petit espion ne te l’avait pas dit ? La véritable maîtresse du Mululement Frelaté, ça n’a jamais été moi ! Celle qui a imaginé ce plan, pillé les nations, volé la carte et rendus fous les trois lieutenants, c’est elle ! Ça a toujours été elle !! Alpra Zolam !!!​
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       Refusant de perdre son temps à l’écouter, Anth Ourloup franchit d’un bond le vide séparant les deux navires. Sitôt sur pieds, il dégaina son long fusil Pas-de-Survivant et visa l’œil injecté de sang de la démente, qui retenait captive sa bien-aimée. Hélas, au moment précis où il pressa la gâchette, l’Osamodas planta ses griffes dans le dos d’Alaix et se laissa tomber en arrière. Harry et Arona, qui s’étaient précipités pour tenter de la retenir, durent s’écarter avec précipitation, pour ne pas être touchés par la balle qui fusa vers le bastingage. Arrivés trop tard, ils se hissèrent tous les deux sur la rambarde, prêts à sauter à l’eau pour récupérer Alaix. Hélas, au moment où Anth Ourloup les eut rejoints, d’immenses et longs tentacules noirs jaillirent des flots et frappèrent avec violence la coque du Vagalame.​
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        Secoués comme des pruniers, les occupants des deux bateaux tombèrent à la renverse, tandis que le clipper et la caravelle étaient propulsés par bâbord. Les doigts enfoncés dans le bois de la rambarde, Anth Ourloup était demeuré debout. Et à mesure qu’une colère noire menaçait de le submerger, une créature de cauchemar jaillit lentement des flots. Immense et aussi sombre que la nuit qui s’était abattue sur le monde, la chose tourna vers lui un Å“il blanc et mort. Ruisselante d’eau, une Osamodas agrippée au bras tentaculaire qui l’avait ceinturée, adressa au capitaine un regard empli de folie. Serrant contre elle le corps d’Alaixtorne, elle adressa un baiser à Anth Ourloup, avant que la créature ne s’enfonce à nouveau sous les flots.​
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        Et alors qu’à la lueur des rayons lunaires, la chose invraisemblable se coulait entre les ondes, le ciel et la mer s’inversèrent, se parant tour à tour de couleurs criardes et chatoyantes. Un tourbillon d’images brouilla l’apparente réalité et c’est poursuivie par le cri de rage et de désespoir du capitaine, qu’Or Azur se redressa brusquement.​
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       -ALAIX !!!​
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       Le souffle court, la jeune fille posa une main en travers de sa poitrine. Les yeux écarquillés, elle se rendit compte que le vent ne soufflait plus et que les vagues s’étaient tues. Reprenant peu à peu ses esprits, Azur passa une main tremblante sur son visage. Du coin de l’œil, elle vit que son masque se trouvait, comme à son habitude sur sa table de chevet. Encore secouée, elle rejeta la couverture et balança ses jambes hors du lit. Une fois assise, elle prit sur elle de se calmer et de faire le point. Elle ne se trouvait pas à bord du Vagalame, le roulis ayant disparu. Hagarde, elle reconnut les pans de toile familiers de son havre-sac.​
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        -Azur ? Azur, réponds-moi, tudieu !!​
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       La jeune fille sursauta. Sur sa table de chevet, le coquillaudoo semblait sauter sur place. Encore tremblante, la jeune fille s’en empara. C’était bel et bien le cri du capitaine qui l’avait tirée de son rêve. Fixant le moyen de communication propre à la Vague Vaudoo à son oreille, la Xelor bondit hors de son lit, réalisant soudain ce qui se passait.​
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       -Hahoy cap’tain !​
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       -Eh bien c’est pas trop tôt ! Ça fait bien cinq minutes qu’on t’appelle !​
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       -On ? Tu veux dire, l’équipage ? sourit-elle.​
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Anth Ourloup soupira à l’autre bout du coquillaudoo.​
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       -Ben non idiote, le père fouettard ! Bon, ramène tes fesses au village, y a un cadeau pour toi sous le sapin.​
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La jeune fille sentit son cœur s’emballer.​
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       -Ah mais oui ! C’est Nowel aujourd’hui !​
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       -C’est ça. Il était temps que tu jettes l’ancre toi. Magne tes fesses, Alaix dit qu’elle va ouvrir ton paquet !​
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       Or Azur tendit le bras et s’empara de son masque. Se précipitant hors de son havre-sac, elle se mit à rire. En ce jour du 25 Descendre, elle allait retrouver les membres de sa famille autour d’un bel arbre de Nowel. Khaltos l’accueillerait avec joie et en serait certainement à son énième verre, en compagnie du soiffard S’Tabwar. Ymaj et Arona se défieraient mutuellement au bras-de-fer, sous les encouragements et l’arbitrage impartial de Résie et d’Anaye. Cilhex et Winch Hexter continueraient de se foudroyer du regard, tempérés par un Lear déguisé en lutin de Nowel, dans l’espoir de les dérider. Aria sourirait tandis qu’Albynn et Alaix feraient la course à celui qui ouvrirait le plus de cadeaux et Harry mettrait un beau bonnet rouge sur la tête de son phorreur, qui le déchiquèterait, sitôt que son maître aurait le dos tourné. Enfin, le capitaine Anth Ourloup, le regard rendu nébuleux par le vin de Nowel, jurerait par les Douze qu’un jour, oui enfin, il remettrait le Vagalame à flot.​
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       Le cÅ“ur en fête, Or Azur se dépêcha de les rejoindre, foulant à pas pressés le manteau de neige qui avait recouvert de blanc, les plages de Sufokia. Se délitant comme poussière au vent, les derniers fragments de son rêve disparurent de sa mémoire. Mais en elle-même, toujours voguerait au cÅ“ur de la Vague, l’inoubliable Vagalame.

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Fin ?

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