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Fous furieux

       Agrippée à une échelle de corde menant à l’unique mât encore debout de la caravelle, une roublarde à la crinière de feu avisait son ennemi avec amusement. Portant de longues bottes montantes, la jeune femme était au moins aussi belle qu’Alaixtorne et bien plus grande. Sa tunique moulante sur un corset échancrée firent manquer à Winch une marche à présent de biais, et c’est en roulant-boulant qu’Hexter passa à proximité de la pirate. Sonné, le roublard adressa au capitaine un sourire explicite.​
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       -Sacrément bien roulée ta proie !​
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       Anth Ourloup demeura de glace. Dans sa jeunesse, il avait fait équipe avec Deenah Mythe. À eux deux, ils avaient fait les quatre cent coups, pillant des banques et des musées, volant aux riches pour donner…pour tout garder. Grande adepte de la poudre, Deenah était devenue une experte en bombes et autres explosifs. Mais à force de détruire tout ce qu’elle touchait, la roublarde finit par en perdre la raison. Devenue dangereuse pour elle-même et son complice de l’époque, Anth l’avait remise à un asile, empochant au passage tout le butin de leurs longues années de duplicité. De son côté, Deenah avait été l’objet d’une expérience dont le but était d’atténuer cet aspect destructeur de sa personnalité. Gavée de bonbons et de bulles en sucre, la jeune femme ne s’était pas laissée faire. Et si la maîtresse officielle du Mululement Frelaté était Deenah Mythe, l’âme véritable de ce navire n’était autre que Trinitrotoluène, son alter ego psychotique.​
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       Trinita, pour les intimes, balaya d’un regard la scène de cauchemar. La tempête commençait à se calmer. Les vents s’étaient apaisés mais la pluie elle, continuait de se déverser en trombe sur les deux navires à l’agonie. Comptant près de cinquante hommes contre une petite quinzaine pour l’équipage du Vagalame, la roublarde avait cru qu’elle aurait le dessus. Mais force était de constater qu’Anth Ourloup savait encore s’entourer de combattants redoutables et d’alliés fidèles. Les propres hommes de Deenah Mythe avaient été recrutés peu de temps avant le départ pour Brâkmar. Mercenaires ne croyant qu’en l’argent, ils avaient été incapables de remplir leur part du contrat et avaient lamentablement échoués. À  présent morts, inanimés, faits prisonniers ou passés par-dessus bord, ils n’étaient plus d’aucune utilité à la roublarde qui se retrouvait seule et entourée de l’équipage du Vagalame. Avisant du coin de l’œil un Enutrof gigantesque, fusionné avec son phorreur et chargé d’une lourde caisse d’or, Deenah Mythe s’autorisa un rictus amusé. Plongeant une main dans son décolleté, elle en extirpa un vieux rouleau de parchemin usé.​
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       -C’est cela que tu veux n’est-ce-pas ? La carte menant tout droit aux Dofus que garde Ogrest.​
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       Rengainant son arme, Anth Ourloup s’empara d’un second sabre, fiché dans le bois du navire. À présent armé de deux lames, il les fit tournoyer dans ses mains, jouant avec adresse de ses poignets. Puis, braquant les pointes acérées en direction de sa vieille ennemie, il lui dit d’un ton cinglant :​
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       -Finissons-en Trinita. C’est toi et moi maintenant.​
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La jeune femme éclata de rire, se renversant en arrière.​
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       -Et à la loyale ? Et puis quoi encore ?!​
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      Levant une main, elle claqua des doigts. Aussitôt, jaillissant de trappes dissimulées à la proue du navire, trois combattants à l’aura presque palpable entourèrent leur maîtresse. Un Sacrieur, un Eniripsa et une Pandawa. Les yeux vides de toutes émotions, les guerriers dardaient sur Anth Ourloup et ses hommes, un regard de déments. Posant sur la tête de la Pandawa une main affectueuse, Deenah Mythe se chargea des présentations.​
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       -Connais-tu mes lieutenants Anth Ourloup ?​
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      N’ayant pas esquissé le moindre mouvement quand ces trois diables là avaient jaillis de leur cachette, le capitaine demeura de glace.​
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       -Déjà entendu parler. Tes compagnons d’asile hein ?​
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La jeune femme sourit.​
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       -Mes compagnons d’infortune. Tu nous traites de fous mais c’est vous qui l’êtes. Vous ne comprenez rien à l’art de la destruction ni au plaisir de la douleur.​
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       Désignant du menton le Sacrieur puis l’Eniripsa, elle les nomma par leurs noms.​
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      -Je te présente Jtéklat et Seïk Hätor. Méfie-toi de ces deux là. Ils ont vécu bien des choses dans leur jeunesse. Le Sacrieur vaut bien tes deux Seconds réunis et l’Eniripsa est loin d’être un gentil petit mignon guérisseur comme le tien. Et en ce qui concerne Galactée la Pandawa, elle m’est très utile pour mettre le feu aux poudres !​
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       Comme réagissant à un ordre subtil, la guerrière sus-nommée bondit vers Anth Ourloup. Se précipitant au-devant d’elle, Ymaj et S’Tabwar l’interceptèrent. La saisissant à bras-le-corps, ils l’immobilisèrent sans difficulté. Mais quand Galactée tourna vers eux un regard vide, ils comprirent qu’ils auraient à faire à fort parti.​
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       Prenant une grande inspiration, la jeune fille fit jaillir hors de sa bouche un torrent de flamme. S’écartant juste à temps de la fournaise, Ymaj sentit sa poitrine roussir. Son compatriote ayant lâché la Pandawa, S’Tabwar fut surpris par la clé de bras que la guerrière lui infligea. Libérée de son étreinte, Galactée effectua un salto latéral qui lui permit de se retrouver dans le dos de Mèh. Frappant le plancher de son pied gauche, elle fit jaillir des flammes qui frappèrent le panda de plein fouet. Poussant un cri de douleur, S’Tabwar tomba à genoux. Et alors que Galactée s’apprêtait à lui briser l’échine d’un coup de coude, Winch Hexter fit feu de ses deux armes. Bondissant de côté, la combattante atterrit sur la balustrade, évitant de peu les balles. Enchaînant pas moins de cinq saltos arrière, elle se mit hors de portée de ses assaillants. En équilibre sur la barrière de bois, elle se remit en position de combat, déjà prête pour l’assaut suivant. Rejoignant ses camarades, Hexter s’autorisa un sourire radieux.​
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       -Une sacrée belle garce celle-là ! On s’la fait à deux Ymaj, mais garde-la moi de côté pour plus tard.​
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      Le Pandawa ne répondit pas, déjà très concentré sur le combat qui allait suivre. Se remettant difficilement sur pied, S’Tabwar tenta d’invoquer son tonneau de lait de bamboo. Mais une main lui saisit le poignet. Se retournant, Mèh vit qu’il s’agissait d’Albynn. Livide, celui-ci posa une main entre ses omoplates et fit affluer son pouvoir, soulageant peu à peu la douleur de la brûlure. D’un air contrit, il dit à son ami :​

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       -Tu ne peux pas te battre dans cet état Mèh. Laisse Ymaj et Winch s’en occuper.​
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Le Pandawa jura.​
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       -Albynn, ATTENTION !!!​
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       Le cri de Résie fit se retourner l’albinos. Le regard dément, le dénommé Seïk Hätor fonçait droit sur lui. D’une rapidité époustouflante, l’Eniripsa fit jaillir hors de ses manches, une multitude de longs scalpels. Les maintenant entre les jointures de ses phalanges, Seïk menaçait de s’en servir comme de griffes plus tranchantes que des rasoirs. Ce furent les cartes de  Résie qui l’interceptèrent à temps. Les lames de métal ripant sur le bouclier mobile de la jeune femme, Albynn sut qu’il était passé à deux doigts de se faire ouvrir la gorge. Se mettant d’autorité entre lui et l’Eniripsa fou furieux, Résie recomposa à toute vitesse sa sphère armillaire.​
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       -Résie ! s’exclama l’albinos.​
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       -T’occupes pas de moi ! cria la jeune femme. Dépêche-toi de soigner S’Tabwar qu’il retourne au combat !​
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      S’acharnant sur le bouclier de cartes, Seïk enchaînait les coups avec fureur. Ã‰puisée par son précédent combat, Résie sentit qu’elle ne tarderait pas à ployer. Fort heureusement, une claymore jaillit à la limite de son champ de vision. Pliant le bras, le lieutenant intercepta avec aisance le coup mortel. Suffoquée de surprise, Alaixtorne vit que l’Eniripsa avait réussi à stopper près de trente kilos de métal avec seulement quelques scalpels. Il fallut qu’Anaye lui administre un coup de pied latéral pour que la créature se décide à reculer. Repoussé du côté tribord de la caravelle, Seïk siffla de colère à l’intention de la roublarde, bientôt rejointe par Anaye et Aria. Bandant son arc, la Crâ matérialisa une flèche de glace.​
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       -Cette horreur n’a plus rien d’humain ! Sa vitesse est incroyable !​
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       -Et la Pandawa est un brasier à elle toute seule, ajouta Anaye. Ils vont nous donner du fil à retordre.​
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Alaix soupira.​
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       -Et s’il n’ y avait qu’eux…​
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       Détournant son regard des deux premiers lieutenants, la cartographe vit que Khaltos, Arona et Harry, étaient eux-mêmes aux prises avec le plus dangereux des trois sbires de Deenah Mythe. Riant à la manière d’un dément, Jtéklat menait la vie dure aux hommes les plus robustes d’Anth Ourloup. Tenant en respect les quelques prisonniers que la Vague avait épargné, Cilhex ne pouvait en aucun cas leur porter secours. Alaixtorne jura. Son compagnon allait devoir affronter seul la roublarde psychotique. Priant le Dieu Sram de lui donner la force, la jeune femme poussa un cri et chargea son propre adversaire. La Vague tenait bon. La Vague tiendrait bon.

 

 

 

 

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